Villa Cavrois, laboratoire de lumière

Derrière ses allures paisibles, ses briques jaunes et son reflet impeccable sur l’eau, la villa Cavrois cache un autre spectacle. Ici, la lumière ne se contente pas d’éclairer : elle structure l’espace, sculpte les volumes et accompagne chaque moment de la journée.

Conçue dans les années 30 par l’architecte Robert Mallet-Stevens, la villa Cavrois est bien plus qu’un manifeste moderniste. C’est un véritable laboratoire de l’éclairage où la lumière est mise en scène. Derrière cette maîtrise, une autre prouesse : celle d’un appareillage électrique intégré dès l’origine.

Câbles, interrupteurs, haut-parleurs, horloges et prises composent un réseau invisible conçu pour améliorer le quotidien. 80 ans plus tard, abandonnée, pillée et abîmée par le temps, une restauration inédite pour un édifice du XXe siècle est menée, nous permettant aujourd'hui d'en re-découvrir l'ambition et la modernité.

“L’architecte doit sans cesse penser à la lumière : ce doit être sa grande préoccupation”.
Robert Mallet-Stevens.

Un architecte obsédé par la lumière

Robert Mallet-Stevens, c’est l’homme qui conçoit l’architecture comme un décor de cinéma. Avant de bâtir la villa Cavrois, il éclaire les plateaux de Marcel L'Herbier. Pour lui, il ne s’agit pas simplement d’installer des lampes. Chaque source lumineuse est une note dans une partition visuelle. Il le dit lui-même : l’architecte “place et dose”. Les boîtes à lumière de l’entrée, les goulettes, les corniches : tout est pensé pour modeler l’espace avec la lumière.

Pour ce chantier, Robert Mallet-Stevens collabore avec celui qu’il considère comme l’un des meilleurs éclairagistes de son temps : André Salomon, ingénieur passionné d’éclairage indirect. Ensemble, ils transforment cette maison familiale en manifeste lumineux. Les luminaires deviennent invisibles ou presque, cachés derrière les angles ou incrustés dans les plafonds.

Les boîtes à lumière du vestibule rappellent les décors de cinéma créés par Mallet-Stevens.

Une scénographie lumineuse en plusieurs actes

La villa Cavrois se découvre comme un scénario en plusieurs actes. Le hall d’entrée est un préambule : deux boîtes à lumière encadrent la porte noire dans un effet digne d’un cabaret. Puis vient le salon, avec ses immenses ouvertures et ses reflets pensés pour accompagner les journées de la famille Cavrois.

Dans la chambre du jeune homme, le modèle de lampe à ailettes Tigralite, signé Jean Dourgnon, éclaire uniformément les plafonds. Dans la salle de bain et la cuisine, un petit luminaire est comme incrusté dans la faïence grâce à un dispositif particulièrement ingénieux. La porte de l'ascenseur, signée Jean Prouvé, est éclairée par transparence.

Le designer Raphaël Armand a reproduit les luminaires de la villa.
Le modèle Tigralite, signé Jean Dourgnon

“L’univers cinématographique sera toujours présent dans l’univers de Mallet-Stevens”.
Raphaël Armand, designer

Dans les coulisses d’un chantier hors-normes​

Quand Raphaël Armand débarque sur le chantier en 2012, les luminaires ont disparu. Le designer, spécialiste des luminaires art déco et modernistes, ne dispose que de peu de plans et de pièces d’origine. Il va falloir réinventer à partir de photos en noir et blanc, d’archives disparates, de plans retrouvés dans des magazines d’époque. “André Salomon s’est servi de la maison pour expérimenter les découvertes qu’il avait faites aux Etats-Unis. Il y avait à l’époque une connaissance très précise de la part des ingénieurs, comme par exemple, sur les façons dont la peinture des murs diffuse la lumière”.
La villa Cavrois est à l’avant-garde : l’électricité, qui arrive tout juste dans les foyers dans les années 30, est ici déployée sous toutes ses formes et dans toutes les pièces.

Beaucoup de dispositifs utilisés sont donc nouveaux, voire expérimentaux. Raphaël Armand doit alors reproduire comme on ré-écrit une partition à l’oreille. Sa participation sur le chantier s’étalera sur plusieurs années. “J’ai travaillé avec des restaurateurs de peintures. Pour la première fois, on traitait un bâtiment du XXe siècle comme une fresque antique”.
Chaque objet est étudié dans son contexte historique. Il réalise des maquettes, teste et adapte les matériaux aux normes actuelles. “Le luminaire, c’est un ensemble total. Il dialogue avec le mur, le mobilier, la matière, la couleur. C’est une alchimie” confie le designer.

​​Une technologie électrique intégrée​

La maîtrise de la lumière va de pair avec un appareillage électrique conçu dès l’origine comme partie intégrante de l’architecture. La villa Cavrois dissimule un réseau électrique avancé : les conducteurs en acier sont insérés dans des tubes rigides, eux-mêmes coffrés dans le béton. Dans le sous-sol, un tableau de distribution regroupe tous les coupe-circuits de la maison dans une "centrale électrique" privée. La technologie est partout : glacière électrique, ascenseur entre cave et toit, réseau téléphonique, prise spéciale pour aspirateur…

La bâtisse est l’une des premières à être entièrement sonorisée : 9 haut-parleurs sont répartis dans différentes pièces et reliés à un poste de TSF. En 1931, Georges Huisman, ami de Robert Mallet-Stevens, décrit la modernité de la villa lors d’une conférence : “Lorsque le maître de maison revient chez lui, le soir, il lui suffit de donner un coup de klaxon en arrivant devant sa porte. Si le concierge est couché, il n'a pas besoin de se lever pour aller ouvrir la porte d'entrée : de son lit, il appuie sur un bouton électrique et la porte à coulisse s'ouvre”.

Le tableau de distribution, dans le sous-sol de la villa.
Les éléments d'époque sont exposés dans la matériauthèque.
La simplicité prévaut dans les pièces de service.
Un interrupteur double à bascule en laiton.
Un interrupteur à bouton rotatif.

Des interrupteurs dessinés par l’architecte lui-même

Robert Mallet-Stevens réfléchit au moindre détail. Il intègre l’emplacement exact des interrupteurs sur ses plans, au même titre que les schémas de circulation ou le sens d’ouverture des portes. Comme il l’écrit en 1931: “Tout, dans la demeure, doit être prévu pour réaliser le maximum de confort ; supprimons les gestes et les pas inutiles.”. Il va jusqu’à dessiner lui-même les interrupteurs et les prises de courant de la villa pour accompagner la mise en scène lumineuse. Il imagine un interrupteur à bascule, de type tumbler. Les leviers métalliques sont fixés sur une plaque en laiton chromé.

Entièrement encastré dans le mur, son interrupteur incarne l’esthétique fonctionnelle chère à Mallet-Stevens. Les prises de courant sont elles aussi en laiton chromé et encastrées.
C’est l’analyse des quelques appareillages retrouvés sur place qui a permis de confirmer les matériaux d’origine et d’en produire des répliques fidèles. Les rares éléments d’époque ayant survécu au temps et au pillage de la demeure sont exposés dans la matériauthèque, située dans le sous-sol de la villa.

Des horloges pour rythmer la vie

La villa Cavrois n’était pas seulement en avance sur la lumière. Elle l’était aussi sur le temps. Inspirée des procédés industriels, sa pendule-mère synchronise 20 horloges murales réparties dans toute la maison. Une gestion du temps que Mallet-Stevens avait déjà expérimentée à la villa Noailles.

J’ai remarqué qu’il y avait deux types d’horloges. Là où l’heure doit être lue vite et facilement, comme dans les chambres d’enfants ou dans les parties réservées aux domestiques, les chiffres romains s’imposent. Dans les autres parties, où les horloges sont plus décoratives, elles sont marquées de simples points. Chez Mallet-Stevens, il y a toujours une logique.

Raphaël Armand ira jusqu’à Berlin pour retrouver l’une de ces horloges d’origine, qu’il restaurera avec soin avant d’en produire une réplique.

Un patrimoine moderne enfin reconnu

Avec la villa Cavrois, Mallet-Stevens ne signe pas seulement une maison d’exception. Il pense l’habitat comme un tout, où lumière, circulation et confort forment un ensemble cohérent.
La restauration de la villa révèle à quel point Mallet-Stevens avait une longueur d’avance sur son époque.

Loin d’être un détail, l’appareillage électrique y joue un rôle central : il incarne sa vision de la modernité.

À noter : Jusqu’au 14 septembre 2025, la villa Cavrois accueille l’exposition 1925, en héritage en partenariat avec le Mobilier national et la Manufacture de Sèvres. L’occasion de découvrir les liens entre l’exposition Art déco de 1925 et la genèse de ce chef-d’œuvre moderniste : c’est là que Paul Cavrois et Robert Mallet-Stevens se sont probablement rencontrés.

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