Peu de personnes le connaissent et pourtant Raymond Loewy est partout dans notre quotidien : sur les routes, dans les trains, les avions, dans les lignes minimalistes de votre réfrigérateur. Et même, plus discrètement, sur les murs de certaines maisons à travers un interrupteur signé Arnould.
Il a changé la manière dont on regarde les objets, sans qu’on connaisse toujours son nom. Designer français installé aux États-Unis, Raymond Loewy a joué un rôle essentiel dans l'avènement du design industriel. Il a transformé des objets du quotidien en icônes, porté par une idée radicale pour l’époque : un objet fonctionnel peut, et doit être beau. Locomotive, réfrigérateur, voiture, paquet de cigarettes, interrupteur : peu importe l’échelle ou le prestige, il traitait chaque projet avec la même exigence.
Raymond Loewy est né à Paris. En 1919, après avoir servi pendant la Première Guerre mondiale, il part s’installer aux États-Unis. Lors de la traversée, un dessin réalisé à bord lui permet d’obtenir une lettre de recommandation, qu’il utilisera pour décrocher ses premiers contrats.
Très vite, il se fait remarquer pour sa capacité à moderniser l’apparence des objets techniques et à en améliorer l’usage, ce qui l’amène à collaborer avec de grandes entreprises américaines. Il devient l’un des grands noms du mouvement Streamline, ce style aux lignes profilées inspiré de l’aérodynamique, qui incarne la vitesse et le progrès dans l’Amérique des années 30 à 50.
En 1952, il part à la conquête du marché européen et fonde la Compagnie de l’Esthétique Industrielle (CEI) à Paris. C’est ainsi qu’il collabore avec des dizaines d'entreprises, dont de grands noms français : Le Creuset, Bernardaud…
Raymond Loewy a marqué de son empreinte l'industrie du XXe siècle : il a travaillé pour des secteurs aussi variés que les transports, l’électroménager, l’énergie, l’agroalimentaire ou l’aéronautique.
Doté d'un réel talent de dessinateur, il a conçu ou modernisé des identités visuelles, des véhicules, des emballages et des objets pour des marques comme Shell, LU ou Coca-Cola.
Un exemple emblématique de son approche est le réfrigérateur Coldspot pour Sears, en 1934.
Loewy redessine complètement l’appareil : lignes épurées, poignées intégrées, optimisation de l’espace intérieur. L’objet devient plus lisible, plus élégant et rencontre un vrai succès commercial. Avec ce projet, il démontre qu’un objet peut être plus simple, plus beau, sans perdre en efficacité.
Pour Loewy, tout objet mérite d'être pensé : qu’il conçoive les intérieurs d’une station spatiale pour la NASA, ceux de l’Air Force One de John F. Kennedy ou un service à couverts pour le Concorde d'Air France.
“J’ai vu la naissance de l’éclairage électrique, de l’automobile, de l’avion et j’ai décidé que je ne voulais pas être simple spectateur de toutes ces choses.
Je voulais faire partie de l’effort”.
Si ses réalisations les plus spectaculaires sont souvent associées aux véhicules ou à la NASA, Raymond Loewy s’est tout autant investi dans des objets du quotidien : un rasoir électrique pour Schick, une cocotte Le Creuset, un pèse-personne Borg...
Grâce à lui, le paquet de Lucky Strike abandonne son vert foncé au profit d’un blanc plus impactant, avec son logo sur les deux faces. Le rasoir Schick devient plus compact, mieux équilibré en main. La cocotte Coquelle adopte des lignes basses et anguleuses, pensées pour passer directement du four à la table. Même le pèse-personne, habituellement relégué à la salle de bain, gagne en élégance.
Pour Loewy, tout objet est digne d’attention du moment qu’il entre dans notre quotidien. Ce n’est pas qu’une affaire de beau, c'est un raisonnement commercial. Comme il aime le rappeler, “la laideur se vend mal”. Pour lui, un bon design rend l’objet plus désirable, plus visible et plus accessible.
Et cela résonne encore plus dans l’époque dans laquelle il vit : celle de l’industrialisation de masse.
A chaque fois, il simplifie, affine, clarifie. Loewy pense usage et impact. Rien d'étonnant donc dans le fait que "l'icône du design" accepte le défi de s'attaquer à un objet discret du quotidien, placé à hauteur d'yeux - l'interrupteur - et d'ainsi dessiner une nouvelle ligne d'appareillage électrique.
“Nous avons tout de suite eu le sentiment que ce projet était révolutionnaire”
Pierre Moulin, jeune ingénieur au moment du projet 1001
A la fin des années 1960, la FAE (Fabrique d’Appareillage Electrique) implantée à Saint-Marcellin en Isère, cherche à moderniser son image. Elle décide alors de faire appel à la Compagnie de l’Esthétique Industrielle dirigée par Raymond Loewy, pour concevoir une nouvelle gamme.
Pendant deux ans, les dessinateurs de Loewy travaillent en étroite collaboration avec les équipes de la FAE, les amenant à revoir toute leur façon de concevoir l’appareillage. “Nous avons tout de suite eu le sentiment que ce projet était révolutionnaire” racontait Pierre Moulin, alors jeune ingénieur, dans l'ouvrage "Un siècle d’économie grenobloise". “Les ébauches furent assez longues car cela bousculait les références habituelles. Par exemple, nous avons dû créer un mécanisme à très faible pivotement pour actionner la manette”.
Une première série, baptisée A1000 voit le jour. Le mécanisme est trop fragile, le système d’assemblage n’est pas encore tout à fait maîtrisé, ce qui conduit les équipes à perfectionner le projet.
En 1970, l’interrupteur 1001 fait son entrée sur le marché. Son design est affirmé. La touche est large, pensée pour une manipulation fluide.
Le cadre fin et discret, sans visserie apparente, met en valeur le basculeur. Les couleurs proposées, le beige et le brun, répondent aux goûts de l’époque. Même la texture a été mûrement réfléchie : la surface du cadre est légèrement granitée pour une sensation mate sous les doigts tandis que la bascule est lisse.
Disponible en simple, va-et-vient ou en double, ainsi qu’en prises, la ligne 1001 répond aux besoins des installations domestiques courantes. Elle a aussi été pensée pour les installateurs et se fixe facilement par griffes.
La gamme connaît un succès immédiat et devient le fer de lance de l’entreprise Arnould, qui rachète la FAE tout juste un an après la sortie du 1001, en 1971.
Le brun d’origine est rejoint dans les années 1980 par une version blanche, plus neutre. La même décennie voit l’automatisation progressive de la fabrication.
En 1989, Arnould s’était fixé l’objectif de produire et vendre 1 million de mécanismes de la gamme. Au 9 novembre, 513 000 exemplaires étaient écoulés.
La série 1001 restera au catalogue pendant plus de trente ans, jusqu’à son retrait dans les années 2000. Elle laisse alors place à une version modernisée : la ligne 2001, développée cette fois-ci en interne. Arnould s'étant doté de son propre service design en 1989. L'ergonomie de la large touche est conservée et le remplacement du 1001 par le 2001 est facilité.
Aujourd’hui, l’interrupteur n’est plus un élément neutre. Il s’affiche, se choisit, s’accorde à l’espace. On trouve des interrupteurs en métal, en porcelaine, en laiton, en bois... Des formats ronds, rectangulaires, rotatifs. Des lignes ultra sobres ou volontairement visibles. Et derrière ces choix esthétiques, une idée simple : le design ne s’arrête pas aux grandes lignes d’un projet, il se loge aussi dans les détails.
Loewy l’avait compris très tôt. Pour lui, le design n’était pas un luxe. C’était une exigence. Son modèle 1001 reste un exemple de lisibilité. Il ne cherche pas à se faire remarquer, mais il est là, bien placé, bien dessiné.
Et c’est peut-être ça, le vrai luxe aujourd’hui : un objet qu’on utilise sans y penser, mais qu’on a choisi pour de bonnes raisons.
Parfois, sans le savoir, signé Raymond Loewy.
Raymond Loewy (1893–1986)
Designer industriel français naturalisé américain.
Pour aller plus loin :
Un livre à lire : “La laideur se vend mal”
Un podcast à écouter : "Une vie une oeuvre" de France Culture.
Merci à Gérard Micoud, président de l’Amicale des Anciens d’Arnould-Legrand pour son apport dans les recherches documentaires.
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